Square du Morbihan. Les Mainguy résidents depuis 1958: « On était bien ici, mais c'est fini »

Rencontrer les gens, aller échanger avec eux, parler de tout et de rien, mais pas pour rien. Rencontrer les gens pour parler de ce qui est rentré dans leur cœur, d'une vie, d'instants d'émotions du vivant.

Le Square du Morbihan à Vannes (Conleau) est à peine à deux encablures de la mer, on va dire. C'est un lieu d'habitations à loyers modérés. Il y a 5 petits immeubles, plus la barre, la grande barre, pile de la taille du terrain de foot de La Rabine, 105 m . C'est la plus longue de Gwened (Vannes en breton) . Mais pour ce complexe d'HLM, c'est la fin, 65 ans après la pose de la première pierre.

Les murs vont dégringoler en juillet

En plusieurs tranches, dès ce mois de juillet 2022, les murs vont dégringoler pour laisser place à un quartier tout neuf, aménagé différemment. Des 150 familles, on s'en va petit à petit. Il doit en rester environ 110 aujourd'hui. Mais il faut bien partir, car de nombreux appartements ont été jugé vétustes. Il a été décidé qu'il est plus approprié de reconstruire que de rénover. Et à l'avenir, le quartier n'aura plus le record de longueur du plus long bâtiment de Vannes. Des plus petits immeubles prendront place avec un aménagement différent. Je suis allé quelques fois au Square du Morbihan, avec Les Cuisiniers Solidaires d'abord, pendant le confinement, puis seul, pour entendre la voix des gens. Il y a là, notamment, Alexandrine et André Mainguy au numéro 5. Le couple, lui de 1926 et elle de 1929, soient 96 et 93 ans bientôt, est là du début, depuis 1958. Je l'avais déjà sollicité, puis fin octobre, juste après leurs 70 ans de mariage, j'ai fini par rentrer chez eux. Ils n'étaient pas bien causant sur le seuil de l'appartement. Il y a avait une certaine pudeur, sans doute. Puis, ça s'est délié pour y rester deux heures et demi en leur compagnie. Ils sont devenus prolixes.

Elle ne sort plus depuis des années

Alexandrine et André sont « bien ici, mais malheureusement faut partir, c'est fini ». 65 ans, la presque totalité d'une vie pour ceux qui n'ont pas la chance de faire de vieux os. Autant de temps là, c'est qu'ils s'y plaisent et s'y sont ancrés par une certaine accoutumance aussi probablement. Ils disent sans balbutier, « oui, on est bien là ».Leur appartement qui est au plus bas, au premier, est soigné, en bon état. Au rez de chaussée ce sont les caves pour toute la barre. Mais ce n'est pas leur premier logement. « Non, avant on était au 3ème. Et il était bien plus beau, du beau parquet et tout, on l'avait bien arrangé. Mais oui, mais voilà, la santé ». Oui, la santé les a empêché, depuis 15 ans, de rester un chouia plus perchés pour une plus belle vue. André a la DMLA, mais c'est surtout pour Alexandrine. Elle a eu un AVC dont elle s'est bien remise, mais « y'a les prothèses des genoux, et celle de la hanche. Vous savez, on ne sort plus du tout. Enfin moi surtout, depuis des années. On aurait fait mieux de mourir avant que de devoir partir d'ici. Comme les vieilles voitures, le moteur est fatigué. On attend que ça, moi je m'ennuie. Faut prendre tout ces "bonbons", et je ne peux plus coudre. Mais je tricote encore », lâche t-elle avec plus d'humour que par fatalisme en tristesse.

"Quand on est jeune on remue. Quand on est jeune, mais la jeunesse est partie. Un coup, trop de tension, un coup pas assez, pfff," rajoute André. « L'autre jour, il disait qu'il allait mourir, mais le lendemain, il était toujours là. », dit-elle en riant. Elle poursuit : « il dit qu'il en a assez, mais c'est pas vrai, t'as peur de mourir » lance Alexandrine avec malice à son mari. « Tout ça, nos chicaneries, ça nous remonte le moral ».

« La maison de retraite serait notre mort »

Alexandrine ne sort plus, ou alors juste le jeudi avec le kiné qui l'aide à faire un tour de la barre. André sort un peu plus. Il fait son petit tour, mais pas tous les jours, et il fait très court. Et puis, y'a plus de copains à voir, ils sont partis, pour toujours, comme les frères et sœurs d'ailleurs. Leur fils d'Hennebont leur apporte les courses une fois par semaine. Mise à part pour des bricoles, comme une baguette, ou André peut aller marcher sous le soleil du ciel de Conleau, les sorties ne sont donc pas fréquentes. On comprend aussi que sortir sans sa femme, ce n'est plus pareil. Ils ne reçoivent plus de monde pour faire des repas conviviaux. Avec les difficultés de mobilité d'Alexandrine, c'est pas simple de faire des choses compliquées. Il faut faire simple. Par ailleurs André et la cuisine, c'est pas sa spécialité. C'est elle qui concocte. Ainsi, elle bouge, et elle a un air très dynamique Alexandrine, et avec de la répartie. Mais elle ne peut pas rester debout trop longtemps. Pour eux, pas question d'aller en maison de retraite, « ça serait notre mort, et on est bien mieux ici ». Puis ils se sentent capable. D'ailleurs, ils se débrouillent très bien pour leur simple petit quotidien. André n'est plus liant, comme on dit, évidemment, mais d'une mobilité plutôt normale. Il a en revanche arrêté de conduire, il y a 4 ans, après avoir utilisé cinq voitures neuves dont la mythique voiture populaire fabriquée pendant 30 ans, la 4L. La dernière en 2017 était une Renault 5, un peu plus moderne que la précédente...Une Renault 5 aussi, des voitures modestes donc.

« T'aurais mangé un peu plus de patates »

André et Alexandrine sont là depuis plus de six décénnies, mais il y a eu une vie d'avant. Leur vie de couple, ils l'ont commencé dans le vieux quartier Saint-Patern, après le mariage du 17 octobre 1951, et pendant 7 ans. « Y'avait pas d'HLM, à l'époque. C'était vieux, on allait chercher l'eau au brau, à la fontaine . Quand on est arrivé ici, y'avait la clarté, la baignoire, on ne se lavait pas dans une cuvette». Eh oui, comme partout, les barres d'immeubles, vers les années 60, puis les années 70, c'était la modernité, le tout confort par rapport aux vieux quartiers des centre-villes, le rêve des classes populaires surtout. Oui, pour le couple et les deux enfants de 66 et 69 ans aujourd'hui, qui ont grandi au Square, c'était un peu un idéal d'habitat plutôt que ces vieux appartements pas très conforts.

Et quand je leur pose la question s'ils n'ont jamais songé construire, Alexandrine me répond : « On aurait pu construire à Kervenic (près de Kercado), mais on n'avait qu'un salaire, mais on aurait pu quand même, peut-être ». André rétorque en hochant la tête : « Ô oui sans doute, t'aurais mangé un peu plus de patates ». Le couple Mainguy est drôle à se titiller sans cesse.

« Pas d'accord avec le maire »

Et leur vie professionnelle au couple Mainguy ? Lui était coiffeur à l'hôpital, de ses 24 ans en 1950 jusqu'à sa retraite en 1987. Elle était femme au foyer mais a aussi travaillé 6 ans à l'hôpital. A l'origine, Alexandrine est de Plescop. André était un fils de paysan de Plaudren. Il est parti en 1938 en pension à Lisieux pour apprendre la mécanique. En juin 1940, avec la guerre il est « expédié » en retour à la maison. Il reprendra le travail à la ferme avec entre temps un intermède de service militaire de 14 mois en Allemagne en 1946. Le travail à la ferme était à reprendre, son père étant mort suite à des complications médicales, à cause de la guerre. Puis il a laissé la ferme.

Les Mainguy ont eu une vie simple de gens peu fortunés, mais qui se disent avoir été heureux dans leur grande barre. Jusqu'à y'a 30 ans, en plus, ils louaient un petit jardin à Conleau, un petit bout de potager en vue sur la presqu'île et la mer. André tournait le terre et Alexandrine, elle plantait. Le dernier jardin a été vendu. Alors après, ils ont décidé de ne plus de faire de jardin pour des raisons de proximité. « Et puis vous savez pas, sur le dernier terrain qu'on louait, il s'est vendu y'a pas longtemps une maison de 800.000 euros. Vous imaginez ? Les prix des maisons sont devenus impensables à Vannes, et depuis longtemps ». Alexandrine parle, et est ravie de parler, d'échanger. Elle débite avec une mine rieuse sur divers sujets. Elle évoque plein de petites choses. Elle sort par exemple : « Vannes s'est désembellit, y'a trop d'immeubles bien trop hauts. C'est moins beau. Je suis pas d'accord avec le maire. Faut lui dire ». Elle me fait sourire par son naturel lumineux et rieur.

Une vie assez casanière

Les Mainguy ont eu une vie assez simple et relativement casanière. Il n'ont pas eu tant que cela de loisirs et pas beaucoup voyagé. Leurs sorties ? André allait à La Rabine voir le foot de temps en temps. Ils allaient ensemble au bal, au bout, à Conleau, le dimanche. Ils effectuaient des sorties en famille, à l'Ile d'Arz, ou ailleurs en bord de mer ramasser des palourdes à la main et des huîtres, à chaque marée. « Y'en a qui détruisaient tout, pas nous ». Les voyages ? Point de Guadeloupe, de Caraïbes ou de Marquises. Un fois en Isère chez leur fille, deux fois en Espagne à la frontière, dont une en allant à La Mongie. L'Allemagne, c'était pour l'armée. Voilà pour les grands voyages. Autrement, tous les ans à Rezé, près de Nantes chez un des frères à Alexandrine. Pas de quoi faire le tour du compteur trois fois de la 4L ou de la Renault 5. Y'avait les copains de régiment de Candé et d'Angers dans le Maine et Loire qui venaient tous les ans. « Et parfois, on allait aussi les voir » Puis quand le frère et les copains sont morts au fur et à mesure, les voyages se sont arrêtés. La Renaut 5 s'est mise à tourner en local.

« On comptait mourir ici »

Et aujourd'hui, quoi dire de ce bientôt départ après 65 ans de résidence ? « On comptait mourir ici. Mais il faut partir. Alors du moment qu'on fou le camp pour être bien. Il nous faut un T3. Quand notre gars vient, il nous faut deux chambres ». On voit bien que cela les attriste de partir, même si à un moment Alexandrine se met à chantonner "Les amants de la Saint-Jean". Oui après toutes ces décennies d'habitudes, du soleil qui reflète à la même heure le même jour, année après année, sur le croisement des portes vitrées de la vitrine à souvenirs de la salle à manger... Le couple Mainguy est plus que bien ancré au 5, Square du Morbihan. Ainsi, un sentiment de déracinement semble légitimement les traverser. Mais il est écrit que c'est pour du nouveau, du plus beau ou du plus confort pour tous. Il y a peu de probabilités que « la barre » actuelle soit le rêve de résidences pour des ménages. C'est juste que pour Alexandrine et André, c'est un compréhensible bouleversement, même si à un moment, il y a toujours la fin d'un monde.

Stéphane Bédard

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